«Et voilà, je suis née paralysée. A demi. Pour moitié. C’est la médecine qui a omis de me retourner comme il faut. Paralysée pour moitié. On ne s’étonnera pas alors qu’ils aient voulu me supprimer ; à ma naissance je savais tout, j’allais tout voir, tout dire. C’est simple : ils me tuaient ou je parlerais. Lutte à mort. Ils m’ont poussée vers les fenêtres, les fleuves, les chaussées ; ils m’ont collé des maladies saugrenues comme autant d’excréments de folie à vivre sur ma peau. La mort ou la démence !
Depuis le premier jour, depuis la première heure, j’ai souhaité renverser régulièrement le monde pour rectifier l’ordre de mes artères. Je me suis trouvée dans la pensée qu’il faut tordre ;»
Depuis toujours, Irène se gratte. Maladie chronique et sans cause. La peau s’enflamme, les doigts s’agitent, le cœur s’affole. Il n’y a plus que ça, cette monstruosité. Le corps est une plaie. Toute pensée est une plaie. Il n’y a plus de pensée. Et on vous regarde : enfant, gamine, adolescente, jeune femme.
Irène ne se plaint jamais. Contre la maladie, elle se fait verbe. Pour elle il n’y a que les mots, cette folle contamination des mots. Et on achève sa lecture gêné, transpercé, en se frottant l’avant-bras, la paume, la joue. C’est que la littérature a gagné.