« — Il faut bien que certains prennent en charge l’ombre du monde, sans quoi le monde deviendrait encore plus fou et plus malade qu’il ne l’est… »
Roberto leva les yeux vers l’assemblée avec lenteur, les rabaissa puis les releva une fois encore. Du premier rang, on pouvait percevoir qu’il respirait avec difficulté maintenant, son regard allait et venait de plus en plus lentement, des visages de la foule à celui de Kola, son petit garçon brun, assis à côté de la femme en blanc. Comment s’appelait-elle déjà ? Sylvia Lorca. Quel âge avaient-ils ? Soudain, il ne savait plus. Il s’attardait sur eux sans réellement les voir ni même les reconnaître, y revenant pourtant sans cesse, incapable de s’en éloigner trop longtemps, pour y puiser peut-être le courage ou la force de poursuivre son discours, tandis que sa main droite semblait battre le rythme d’un instrument invisible, peut-être celui de son coeur, alors qu’il restait anormalement silencieux, jusqu’au
moment où, sentant qu’un homme s’approchait de lui – Jim Cabré peut-être ?, peut-être –, il reprit :
— Maintenant, je voudrais retourner sept ans en arrière, lorsque je l’ai rencontrée à Barcelone au mois d’octobre 1984…, mais il suspendit sa phrase. »
« Il faut pardonner à la vie de n’être que ce qu’elle est, car ce qui manque d’absolu à la vie est en nous », écrit Roberto à son fils Kola.
Roberto est écrivain, comme sa femme, Unica. Tous deux ont fui le Chili. Ils se rencontrent dans la Barcelone bohème des années 1980. Liés par une passion brûlante, ils inventent, pendant sept ans, une existence radieuse, loin des conventions, faite de joie, de disputes, de chagrins, avec l’écriture au cœur de tout. Mais les livres ne font pas la vie et bientôt Unica ne supporte plus le monde ni sa folie. Elle se suicide, laissant derrière elle Kola.
On le retrouve jeune homme, à Rome, dans la chaleur et l’allégresse de l’été. Extravagant, plein de morgue, il se croit libre mais il est hanté par le passé de sa famille. Il décide de partir pour le Chili, sur la trace des siens.
Hommage à la littérature, Grâce leur soit rendue est un roman magnifique sur la transmission, une ode à la liberté portée par des personnages inoubliables.